Intervention de Nancy BOUCHE
Administratrice civile chargée de mission auprès du directeur de l’architecture et de l’urbanisme.
Ma première réaction par rapport à vos travaux et à ce que nous avons entendu ce matin serait de dire: soyons humbles, un peu d’humilité dans le discours de l’Etat.
J’ai eu le sentiment que l’aménagement avait encore de beaux jours et, parfois, que notre discours sur l’aménagement n’avait peut-être pas fondamentalement changé dans ses prémisses depuis les années 60. Cette remarque est certainement rapide, mais je vous renvoie à la question l’Etat n’est plus aménageur, sauf cas particuliers et missions bien spécifiques. Et n’est ce pas l’échec des grands aménagements voulus ou dirigés par l’Etat ou ses organismes qui entraîne les réactions de protection, et ce au cours de toute notre histoire, comme vous l’avez d’ailleurs noté vous-même ? Et la réaction du Conseil d’Etat que vous venez de citer, s’inscrit peut-être dans cette méfiance et rejoint celle du corps social et de la société civile qui, finalement rejettent les décideurs, les modernistes, les aménageurs.
Ce furent les ingénieurs et les architectes des corps du Roi, puis les ingénieurs, puis les urbanistes et les aménageurs qui constituèrent notre paysage et notre espace. Aujourd’hui nous avons confié cette responsabilité, aux maires et nous les attendons tous pour traiter la question…
Le “tout-aménagement” a certainement changé de sens et de contenu. Je serais tentée de dire que le temps et l’espace dans lesquels nous travaillons aujourd’hui ne sont certainement pas ceux, disons, de la Reconstruction, des décrets de 56-58, ni même de la loi d’orientation foncière. Et je reprendrais volontiers à mon compte l’analyse de M. Lacaze qui explique comment nous sommes partis, d’une extension urbaine par la construction neuve avec une grande consommation de foncier, à la fois pour répondre à l’urgence et sous la pression de la reconstitution de l’industrie du bâtiment, pour arriver aujourd’hui au temps de la recomposition de l’espace urbain, de la restructuration, de l’évolution de la ville sur elle même, de l’urbanisme de gestion.
Il me semble avoir noté une absense dans vos discours : celle de l’habitat et de ses enjeux. On a parlé du citoyen, ce matin, on a pas du tout parlé des politiques de l’habitat et du logement, en terme d’enjeu de l’aménagement ; or dans la conception de l’aménagement et surtout si on se réfère aux responsabilités de l’Etat, l’habitat me paraît être une donnée majeure. Sommes-nous encore à l’ère de la scission entre l’aménagement et l’urbanisme et le logement, celle des années 60 et 70, dont nous connaissons si bien les méfaits ? Ces clivages administratifs nous empêchent-ils de voir la globalité des fonctions d’une ville ?
Et ceci mène à une autre question au regard des préoccupations de la légitimité des interventions de l’Etat aujourd’hui : s’il n’est plus aménageur et se veut encore garant d’un certain nombre d’équilibres, avec quels moyens et comment l’Etat peut-il agir ?
Donc, soyons modestes mais recadrons aussi nos interventions, notre compétence professionnelle par rapport aux attentes d’une société civile dont je comprends très bien qu’elle soit finalement très réservée sur nos discours, que ce soit ceux des maires, que ce soit ceux des architectes. J’ai bien aimé ce matin ce qui a été dit du dialogue entre le Prince et l’Architecte qui est une spécificité française. Quand on parle de notre tradition urbaine ou architecturale aux gens des pays nordiques, et notammment des rapports entre le pouvoir, le maire, l’architecte et l’aménageur, on tombe dans un univers bien différent car la ville hanséatique ne s’est pas faite comme cela. Elle s’est constituée avec une autre tradition démocratique, une tradition marchande. car d’une certaine façon ce que nous laissons comme pouvoir au Prince, qu’il soit municipal ou qu’il soit central, est aujourd’hui inimaginable en Suisse, aux Pays-Bas, ou dans le pays de tradition germanique : le dialogue s’y fait avec les responsables techniques de la ville, son architecte en chef, jamais avec le maire. Au regard de cela, le grand Louvre remplit de stupéfaction et d’admiration l’ensemble des étrangers. C’est aussi la réussite de notre système.
Enfin et j’en aurai terminé, je voudrais faire une petite réflexion sur le temps et sur l’espace, parce que c’est là que me semblent exister certaines différences de culture des deux corps, dont nous célébrons aujourd’hui, je ne saurais pas trop dire, si ce sont les fiançailles ou le mariage : le temps du patrimoine, le temps de l’urbanisme, le temps de l’aménagement ne sont manifestement pas les mêmes : celui de l’aménagement est de 5 à 10 ans, celui de l’urbanisme de l’ordre de 15 à 25 ans, mais celui du patrimoine au de la de 50 ans : et ceci fonde largement nos législations particulières et nos manières spécifiques d’aborder l’espace. Il me paraît indispensable de conserver ceci en tête et, au regard de ce qui se passe, par exemple, dans les pays d’Europe centrale ou orientale, n’assimilons pas le patrimoine à l’aménagement et conservons la culture du temps propre de ses deux approches.